J’ai rencontré un gars sur Tinder. On a matché. On s’est vu une première fois. Il m’a fait rire, je l’ai trouvé charmant. Quand il est parti, j’ai eu envie de le revoir.
J’ai lancé une invitation, puis une deuxième. La première a été annulée, on s’est vu à la deuxième. Je le trouve toujours aussi charmant, et quand il est parti, j’ai eu envie de l’embrasser.
J’ai attendu trois jours avant de le recontacter, parce que c’est ce que j’avais vu dans les comédies romantiques et lu dans des magazines. Mais pendant ces trois jours, je n’ai fait que de penser à lui. A ses lèvres sur les miennes. Douces et chaudes. Sa main dans mes cheveux, ses murmures au creux de mon oreille. J’aurais pu mourir de désir. Et je me suis sentie bête, comme quand j’étais adolescente et que j’étais amoureuse de Ben et que je n’avais jamais osé lui dire. Je me contentais de sourire bêtement quand il me regardait en classe.
Bref, le charmant de Tinder m’obsédait.
Après ce qu’il m’a semblé une éternité – une heure dans les faits, il a répondu « Hello je ne suis malheureusement pas à Fribourg aujourd’hui », au message qui lui proposait d’aller au cinéma. Est-ce que ça voulait dire que demain il y serait ? Mais alors, pourquoi est-ce qu’il ne me propose pas de se voir demain, si malheureusement il n’est pas là aujourd’hui ? Ces questions m’obsédaient aussi, et je me suis sentie bête à nouveau. Alors j’ai juste répondu « Dommage, une prochaine fois », avec un smiley qui sourit. Ensuite, j’ai fait ce que toute personne normale aurait fait : je suis allée sur Internet.
Je ne cherche pas quelque chose de précis, quand je tape son nom dans la barre de recherche. Puisque je l’ai déjà fait (plusieurs fois), les liens sont violets. ça me rappelle surtout qu’il a planté sa tente dans ma tête. Tout ce qui est disponible, je l’ai lu et appris par coeur. Alors, je pose d’autres questions : « Combien de temps faut-il attendre avant de proposer un nouveau rencard ? », « Est-ce que si je dis aujourd’hui je ne suis pas à Fribourg, est-ce que demain je le suis ? », « Est-ce qu’on peut mourir de désir ? ». Des questions usuelles.
Mon portable a sonné. Malheureusement, c’est juste ma mère qui veut savoir si je viens manger demain. J’y ai réfléchi, et suis venue à la conclusion habituelle : je ne sais pas. Alors j’ai fait comme d’habitude, je me suis dit que j’allais lui répondre plus tard, quand je saurai. Sauf que quand le plus tard est arrivé, j’ai oublié de lui répondre. Le lendemain, ma mère m’a engueulé, comme quand j’étais adolescente et que je disais que j’allais mettre la table plus tard, et que j’oubliais. Mais si j’oubliais, c’était parce que je pensais toute la journée à Ben.
Je me rassure en me disant qu’il y a une certaine logique à ma folie de l’oubli.
La fenêtre de mon studio donne vue sur une cour intérieure. Sauf qu’elle est tellement petite que j’ai l’impression de vivre dans la chambre des voisins. Au mur, ils ont encadré l’affiche du Montreux Jazz de 1984. Je la trouve criarde et moche, mais c’est chez eux, donc je ne peux rien dire sur leur goût. Les voisins habitent vraiment trop près. Mon portable a encore sonné. C’est une copine qui me propose un ciné ce soir. Sauf que je suis embêtée, parce que j’avais proposé au charmant de Tinder d’aller au cinéma, parce que j’étais censée y aller avec une copine, qui avait annulé. Mais, je me dis qu’il ne sera pas en ville ce soir, alors je pourrai quand même y aller. De toute façon, à part regarder l’affiche moche de mes voisins, je n’ai pas prévu grand chose. J’ai répondu « Ok », avec un pouce vers le haut.
Trois jours ont encore passé, et le charmant ne m’a toujours pas écrit. Le film que je lui avais proposé était bien, mais aurait été mieux si c’était lui qui m’avait accompagné, et s’il avait mis une main sur mon épaule, et qu’on se soit embrassé comme des ado jusqu’à la fin. Parfois, j’ai trop d’imagination, et mon adolescence me hante.
D’un côté, je me dis que ça sent mauvais qu’il ne m’ait pas écrit. De l’autre, je me demande si je peux lui écrire à nouveau, parce que ça fait trois jours depuis les trois jours. Il ne me semble pas que j’ai vu ce cas de figure ni dans les magazines, ni dans les comédies romantiques. J’ai improvisé, et lui ai écrit. Il a répondu directement. On s’est vu le soir même. Le charmant de Tinder porte toujours bien son nom. Et quand je suis partie, je l’ai embrassé. C’était doux et chaud. Il a passé sa main dans mes cheveux, m’a murmuré au creux de l’oreille : « J’ai envie de plus. ».
Mais c’était à Ben que je pensais.