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Carte de crédit

Elle était assise là, en face de moi. Son visage tourné vers la vitre, son regard suivant les courbes du paysage, ses oreilles prises dans les tourments de musique dont elle seule pouvait s’en délecter. Un port de tête gracieux, des vêtements choisis avec goût. Ses ongles étaient vernis d’une couleur délicate, son maquillage léger rehaussait sa beauté et ses lèvres colorées aspiraient à la douceur.  

Je me plaisais à l’observer, elle rayonnait. Je me voyais l’aborder, m’excuser de la sortir de ses songes. Lui proposer de se retrouver plus tard, d’aller boire un verre ou peut-être deux, et découvrir que nous avons de nombreux points communs, que sa vie était rythmée entre son travail intense et ses amis, l’Amour n’ayant pas encore sonné à sa porte. Cela tombait bien pour moi, je voulais la savoir entière pour moi, prête à se détourner pour moi, moi, observatrice curieuse. 

 

J’imaginais ses anciennes conquêtes, des déceptions amoureuses à la fin de ses études réussies avec succès, évidemment, le cœur brisé, mais ne l’empêchant pas de battre pour le suivant, toujours plus fort. Des hommes qui pensaient pouvoir s’amuser avec elle, mais qui réalisaient trop tard qu’elle s’était éprise d’eux malgré toutes les préventions qu’ils avaient prises. Tombée amoureuse mais chutait lorsqu’elle apprenait qu’elle n’était pas la seule, qu’une autre rivalisait avec elle et que tout le monde, sauf elle, était au courant. Se faire belle et faire la belle, ils en restaient de marbre, la vie passe trop vite, ne la gâchons pas à s’attacher, lui disaient-ils lorsqu’ils la quittaient pour partir avec une autre qui ne s’était pas encore entichée. 

 

Trompée par les gestes et les sentiments, déçue de tout, était-elle devenue sûre d’elle maintenant en matière d’amour ? Ne pas le brader à la première personne venue, faire languir celui qui s’y tenterait. Femme d’affaires coriace mais offrant toujours une vague d’espoir à son interlocuteur, le laisser penser qu’il ne ramait pas inutilement, que l’île au mille et un trésors était presque visible, tandis qu’elle préférerait rester observatrice plutôt que de se jeter à l’eau et finir par être menée à nouveau en bateau.

 

Je la supposais chaleureuse lors de notre discussion, curieuse d’en apprendre plus sur moi, sur ma vie, mes projets et mes envies, même si, présentement, elle faisait partie de mes désirs. Sa voix douce et ronde m’incitant à me confier à elle, je lui parlerais jusqu’à en avoir la gorge sèche, et la laisserait m’hydrater de sa langue caressante, lorsqu’elle finirait de m’accompagner chez moi, dans mon studio. Accepterait-elle de monter chez moi si je le lui proposais ? Penserait-elle qu’il soit raisonnable de suivre une fois encore son cœur ? 

 

La voix standardisée résonna dans le wagon, la gare approchait Elle ramena ses affaires près d’elle, enfila son manteau, saisit son sac et m’adressa un sourire qui me réchauffa l’âme, nos mains s’effleurèrent. 

 

Sa carte de visite était posée sur la tablette entre nos sièges.